A la recherche de la neige

16 février 2017

Cette année 2016 m’aura permis de renouer avec un ancien rituel familial de Noël, que j’ai dû mettre entre parenthèses ces dernières années à cause de mes blessures : la randonnée à ski. Nous partons en montagne quelques jours en totale autonomie, les skis aux pieds, ce qui implique des sacs à dos peu courants.

Notre première étape nous fait traverser l’Alpe de Villar d’Arène. Bien qu’ayant opté pour un parcours nous plaçant dès les 2000m, nous avons marché en basket, les skis et chaussures sur le dos. Le manque de neige est quasi-total jusqu’à 2100m, à peine quelques langues discontinues de neige affleurante, très dure, voire gelée. Pour bénéfice de ce handicap, les hardes de chamois, à peine effarouchés, profitent des étendues d’herbe sèche bien présentes sur ces plateaux de la Romanche. Nous nous laissons succombés à l’observation des maîtres du lieu.


Le 2e jour, une grosse étape doit nous monter en altitude, au refuge du Pavé. Nous mettons le réveil raisonnablement tôt. Après une descente directe en crampons sur neige croutée et gelée,nous traversons le long fond plat du vallon de la Romanche, pour ensuite tracer les premières pentes remontant le vallon du Clot des Cavales.


Deux traversées du torrent nous obligent à déchausser au carrefour des deux vallons, au plan de Valfourche, nous partageons avec quelques chamois, les cinq minutes d’un rayon de soleil que permettra la journée. La météo annonce une couverture partielle de cirro-stratus issue d’une perturbation supposée nous tangenter. Les combes très encaissées de cet Oisans-là nous laissent ainsi dans l’ombre toute la journée.


A la cadence de petites pauses, le froid nous rappelle de façon piquante qu’il nous faut rester vigilants et protégés de la rigueur des lieux. Après une petite pause pique-nique qui nous aura un peu refroidis, nous sommes repartis pour les sections les plus raides de l’étape, une longue moraine extraordinairement effilée en hiver, suivie d’un mur raide, homogène et donc exposé aux plaques, pour ensuite traverser jusqu’au refuge du pavé. Sur la moraine, nous sommes chahutés par des vents de plus en plus cinglants, et la ligne de crête alterne des sections parfois gelées, parfois crouteuse et cassante en plaque, ou encore s’affaissant jusqu’aux genoux. L’équilibre précaire de cette arête tranchante nous contraint parfois à la chevaucher et tracer les carres, un ski à droite, un ski à gauche. Nous nous rendons à l’évidence, cette remontée funambulesque nous consomme beaucoup de temps et d'énergie. Il nous reste peu de jour pour rejoindre le refuge. Une progression à la frontale est évaluée trop engagée dans les 200m de l’escarpement suivant et pour les conditions locales de neige.

Nous revenons alors un peu sur nos pas pour trouver une congère aux gencives d’un rocher protecteur, adaptée au bivouac. Nous montons la tente igloo, juste à temps… et pour l’arrivée de la nuit, ...et pour les prémices de ce qui semble annoncer une nuit agitée, à décorner le chamois. Nous sommes équipés pour une autonomie totale. Faire corps avec l’élément et la rigueur des conditions environnantes, oblige à une acuité des sens plus singulière pour s’en représenter la teneur et l’accepter. Nous avons ainsi passé la nuit de Noël, comme un « rituel » serein et attentif, dans la tente.


Au menu, foie gras, saumon fumé et viande des grisons pour célébrer ce réveillon symbolique. Bien que protégés par un ensemble thermique approprié, duvet de montagne, sursac gore-tex, karimat, tente d’expé et couverture de survie cousue en double, et à trois dans la tente, la soirée et la nuit furent bien tempérées, mais plongée dans une ambiance phonique tempétueuse. En bruit de fond, la montagne rugit ses décibels et à notre contact, la neige et le grésil égrènent leurs mélodies sur la toile. Le vent claque la tente à l’en déformer abusivement. Je me dis que si les tubes de structure résistent à l’amplitude de telles déformations, alors nous pourrons nous permettre bien d’autres bivouacs en toute sérénité.

Au petit matin, un mur de neige s’est élevé autour de la tente, constituant une sérieuse congère à 360 degrés. Skis, bâtons, crampons et piolets, restés dehors, ont tout bonnement disparus sous une épaisse couche de neige. L’objectif est de vivre l’austérité de ces lieux en hiver, de nous y adapter, de nous y fondre et d’en tirer la meilleure expérience possible, à l’appui d’intuitions toujours plus vives et protectrices. Aussi, l’épaisse couche de neige froide et volatile déposée cette nuit sur la sous-couche parfois glacée de la veille, nous engage à adapter notre périple et nous nous replions sur une option plus soft, mais pas moins symbolique. Nous enlevons donc les peaux de phoques et profitons de quelques virages dans la neige fraîche.

De retour au voisinage du refuge de l’Alpe, il nous restait encore 4h de jour. Nous décidons d’un aller-retour au sud du vallon jusqu’aux lacs d’Arsine. C’était pour moi un lieu plutôt magique, car il y a 20 ans déjà, en été, et alors que je n’avais que 6 ans, nous avions dormi dans la mystique « cabane penchée » en bordure du glacier d’Arsine.


Après une dernière nuit, bien plus paisible, notre dernière étape aura été de redescendre jusqu’à la voiture, et encore une fois nous avons refait le monde en observant les chamois, avons beaucoup marché par absence de neige, bien que nous ayons réussi à bien slalomer les quelques langues de neige résiduelle. Nous avons aussi ressorti une ultime fois les crampons dans les dégoulinures de glace vive recouvrant le sentier en lacet dans sa partie basse, comme un ruisseau de glace, déjà à l’ombre depuis plusieurs mois.


Pour un rayon de soleil, une plaque de glace translucide, une volute ourlée de neige immaculée, une rafale dantesque, pour cet animal sédentaire qui m’observe, ou pour ses empreintes ongulées dans un champ de neige, pour tout ce qui nous imprègne dans la rando à ski… un départ est prometteur, un retour assouvi l’est tout autant.